Rencontre avec Sarah Cohen-Scali, gagnante du prix Sorcières pour Max !

12/04/2013 22:25

Cette interview est également lisible sur le blog l'Ouvre-livres.

Max et son public

Gaëlle pour l’Ouvre-livres et A pleine page :

Vous écrivez pour un public jeunesse mais aussi pour les adultes, comment vous adaptez-vous à ces lectorats divers ? Les frontières ados/adultes se réduisent et perdent leur signification. De nombreux ouvrages sont soit doublement exploités par les éditeurs dès leur parution, soit édités plus tard dans une collection de poche destinée aux adultes (je pense à la série Le clan des Otori parue ensuite chez Folio). Dans le cas de Max, dont le sujet est particulièrement dur, comment avez-vous géré cet écart entre le public visé et la difficulté du sujet ? Avez-vous un temps songé à en faire un roman pour les adultes ? Votre éditeur vous a t’il imposé des modifications ou accepté votre texte sans réserve ?

Sarah Cohen-Scali :

Je ne me soucie jamais, lorsque j’écris, du public visé, je me laisse porter par une histoire et les personnages qui la vivent, je m’immerge dans un univers. Mon premier lecteur ( et juge) n’est autre que moi-même, je dois aimer mon histoire, je dois aimer mes personnages pour pouvoir poursuivre, rien n’interfère à ce stade, aucune considération d’âge, de collection, etc. Toutes ces questions se posent une fois le roman terminé.
Max n’a pas échappé à la règle, cependant plus j’avançais dans mon travail, plus il me semblait évident que le texte s’adressait aux adultes.
Quant à la suite de la réponse à votre question, elle est si stupide que j’ose à peine la formuler: les quelques éditeurs de littérature générale à qui j’ai proposé Max ne l’ont pas retenu, sans explication. J’ai reçu ce qu’on appelle, dans le jargon des auteurs « une lettre circonstanciée». Le livre a-t-il été lu avant d’être refusé? Rien n’est moins sûr. Comme je suis plus «connue» (terme que j’emploie avec mesure) en littérature jeunesse, j’ai proposé le roman aux éditeurs avec lesquels j’avais envie de travailler. Là encore, quelques refus — accompagnés d’une justification, ceux-là — et enfin une réponse positive de Gallimard. Mais la décision n’a pas été facile au sein du comité de lecture. Six mois de discussions intenses, m’a-t-on dit.
En revanche, l’éditeur a publié le texte sans aucune modification, ce qui fut un grand bonheur.

Gaëlle pour l’Ouvre-livres :

Nombreux sont vos ouvrages à être étudiés en classe, je pense par exemple à Rimbaud, voleur de feu et Mauvais sangs, pensez-vous que Max le sera un jour?

Sarah Cohen-Scali :

Je rectifie : mes ouvrages étudiés en classe ne sont pas nombreux, loin de là. De fait, vous avez cité les deux titres qui le sont, auxquels il faut ajouter un roman pour les tout jeunes lecteurs de primaire et une anthologie de nouvelles sur les vampires.
Je doute fort que Max soit un jour étudié en classe. C’est un récit qui n’est pas assez «bien pensant» pour se voir institutionnalisé. Les deux héros, Max et Lukas, ne se rangent pas, l’un dans la catégorie des «bons», l’autre, dans celle des «méchants». L’intrigue est presque… J’allais dire «trop vraie» ou trop «brute», au sens propre du terme. On a l’habitude de faire étudier, au collège, des livres tels que Inconnu à cette adresse ou L’Ami retrouvé pour sensibiliser les jeunes à la seconde guerre mondiale. Ces récits ne sont pas sujets à polémique. Personnellement, je demeure convaincue que les jeunes à partir de 15 ans, qui ont une certaine connaissance historique, qui sont de bons lecteurs, sont tout à fait capables de lire Max. Je pense également qu’il serait grand temps de renouveler les titres qu’on fait lire en classe sur la seconde guerre mondiale et d’apporter une note de modernité, mais…
Je reprends à mon compte votre propre formule, que je trouve très juste : «Max devrait figurer sur la liste de l’éducation nationale, mais qui osera le mettre?»

Max et vous

Gaëlle pour l’Ouvre-livres :

J’ai lu que dans votre production, votre roman préféré est toujours le dernier et que vous aviez du mal à écrire autre chose que du policier et du fantastique, et que par ailleurs vous vous inspiriez rarement de faits réels. Max est donc bien différent de vos habitudes, est-il quand même votre préféré ?

Sarah Cohen-Scali :

Max a créé une rupture totale avec mes habitudes, jamais je n’avais écrit de roman historique auparavant. Il n’en demeure pas moins que Max est de loin, de très loin, mon préféré dans ma production. J’ai encore du mal, aujourd’hui, à me séparer de «sa voix» pour écrire autre chose.

Gaëlle pour l’Ouvre-livres :

La seconde guerre mondiale est un incroyable vivier pour les auteurs jeunesse, mais je crois que personne avant vous n’avait traité du Lebensborn. Comment avez-vous eu l’idée de ce sujet et comment avez-vous mené vos recherches ? Avez-vous pu rencontrer des adultes nés de ce programme ?

Sarah Cohen-Scali :

Au départ, c’est Thierry Lefèvre (que je remercie à la fin de Max car il a été à l’origine du projet) qui m’avait demandé d’écrire un roman historique pour sa collection chez Gulfstream. Il me laissait la liberté de choisir mon époque. J’ai tout de suite choisi la seconde guerre mondiale, puis je me suis longuement interrogée sur la nécessité d’écrire un roman qui aurait pour cadre cette période, qui a déjà tant nourri la littérature. Je ne pouvais le faire qu’à travers un éclairage particulier. J’ai alors pensé au Lebensborn, que je ne connaissais pas en détails. Je n’avais jusque-là lu que quelques lignes à ce sujet dans le magnifique roman de William Styron Le choix de Sophie. Je me suis plongée dès lors dans une période de lectures et de documentation qui a duré environ trois ans (j’écrivais autre chose parallèlement). Lorsque j’ai bouclé les lectures essentielles, j’étais passionnée et bouleversée par ce que j’avais appris, mais je n’avais toujours pas décidé si oui ou non j’écrirais le roman. J’ai continué à travailler sur le projet que j’avais en cours, et le déclic s’est produit lorsque j’ai eu l’idée d’adopter pour la narration un point de vue interne et de faire parler un bébé. J’ai alors stoppé net tout autre travail et me suis attelée à la rédaction de Max.
Je n’ai pas rencontré d’adultes nés de ce programme, j’ai vu plusieurs reportages qui leur étaient dédiés (notamment sur Arte). Ce n’était pas utile de les rencontrer et de les questionner, car aucun d’entre eux ne revendique ce que mon héros revendique haut et fort. Il n’y a pas de Max, dans la réalité. Je le précise à la fin du roman, à l’inverse des autres personnages, il est entièrement né de mon imagination.

Gaëlle pour l’Ouvre-livres :

Savez-vous si un éditeur allemand a acheté les droits de Max ? Le souhaitez-vous si ce n’est pas encore le cas?

Sarah Cohen-Scali :

Oui, un grand éditeur allemand a acheté les droits de Max, et j’en suis particulièrement heureuse, car on m’avait dit que les allemands n’aimaient pas, en général, les livres écrits par des étrangers traitant de la seconde guerre mondiale, surtout lorsque ceux-ci adoptaient un point de vue interne. C’est donc une belle reconnaissance de mon travail.

Gaëlle pour l’Ouvre-livres :

Dans les études autour de la lecture et des ados il est flagrant que les jeunes lecteurs choisissent leurs livres en grande partie d’après la couverture. Pour ma part je trouve qu’elle concentre tout à fait l’esprit du roman, subtil mélange d’attraction et de répulsion. On se sent immédiatement attiré par la couleur et intrigué par ce fœtus. Puis, l’on découvre qu’il porte cet insigne nazi, ce qui est tout à fait incongru. Ceci interpelle, repousse, dérange. Avez-vous eu votre mot à dire concernant la première de couverture de Max?

Sarah Cohen-Scali :

Avant même de signer le contrat, j’ai exigé un droit de regard sur la couverture (j’ai eu trop de déceptions sur nombre de livres, et ce «bébé-là», j’y tenais tout particulièrement, il ne fallait pas que le texte soit trahi par une couverture insipide). J’ai donc exigé que soient présents sur la couverture: l’insigne nazi, les couleurs du drapeau nazi, et un enfant. Comme référence, j’avais en tête la couverture de «L’enfant allemand» de Camilla Läckberg, qui aurait pu convenir parfaitement à Max. Lorsqu’on m’a soumis le projet de ce fœtus entravé d’instruments de mesures et portant un brassard barré de l’insigne nazi, le tout avec les couleurs du drapeau nazi, j’ai été enchantée, emballée. On ne pouvait pas faire mieux.

Max et les autres

Gaëlle pour l’Ouvre-livres :

Nous constatons que votre roman ne fait pas l’unanimité, qu’il y a une réticence à proposer ce livre à des ados y compris de la part de professionnels du livre jeunesse. Certains disent qu’il faut le lire accompagné d’un adulte et bien préciser qu’il s’agit de faits réels ce qui est pourtant tout à fait clair puisque le livre est accompagné de vos explications. On lui reproche aussi un langage cru. Je dis dans mon article quelque chose comme « on n’allait tout de même pas faire sortir des roses de la bouche de tels salauds ». Selon-vous ces réactions sont-elles disproportionnées ? En quoi sont-elles justifiées ?

Sarah Cohen-Scali :

J’ai dit précédemment que le livre s’adressait davantage aux adultes qu’aux adolescents, tout simplement parce qu’il faut avoir une connaissance historique assez solide de la seconde guerre mondiale pour mieux le comprendre. Donc une lecture accompagnée de ce point de vue là, oui, je pense qu’elle est nécessaire.
Quant aux réflexions sur le langage cru, je les trouve totalement déplacées. Et Max, en cela, ne constitue pas une première pour moi, on m’a souvent fait ce reproche (pour Mauvais sangs, notamment).
Ces réflexions trahissent en premier lieu une méconnaissance totale de l’écriture romanesque. Une histoire est vécue par des personnages et ces personnages doivent être authentiques. Le lecteur se les représente à travers les descriptions que l’auteur en fait, à travers la transcription de leurs pensées et les dialogues. Dans les dialogues, la parole doit être crédible. On enseigne en français au collège les différents niveaux de langage. C’est bien de cela qu’il s’agit. Un auteur confirmé choisit d’instinct et sans se poser de questions le niveau de langage qui convient à ses personnages.
La langue de Max m’est venue spontanément, sans que j’y réfléchisse. Max est un enfant élevé à la dure, c’est un orphelin qui ne connait pas la signification du mot «tendresse», c’est un enfant endoctriné, c’est enfin — du moins sur une bonne moitié du roman — un nazi pur et dur.
Une nouvelle fois, je reprends votre formule à mon compte: «on n’allait tout de même pas faire sortir des roses de la bouche de tels salauds». Bien sûr! Mille fois oui! Est-ce qu’un SS battant à mort un juif ou lui tirant une balle dans la tête, le traitait de «personne qu’il ne serait pas bon de fréquenter»? Non, il prononçait à son égard les pires injures.
Les personnes choquées par le langage employé dans Max font preuve d’hypocrisie. Comment décrire la guerre autrement qu’en soulignant à quel point elle est immonde? Comment décrire les meurtres et les assassinats de masse, autrement qu’en soulignant à quel point ils sont cruels et sanguinaires? En temps de guerre, on tue, on viole, on massacre. La guerre n’a rien de poétique, rien de correct et il faut la montrer telle qu’elle est, sous peine de faire injure aux victimes.

Gaëlle pour l’Ouvre-livres :

En écoutant des confrères libraires, je m’aperçois que se développe un vrai phénomène Max, c’est à dire que les ados en parlent à d’autres en leur disant : « oh la la, ce livre c’est dingue, tu dois le lire ». Qu’il leur laisse une indéniable empreinte. Je constate aussi une chose qui m’amuse beaucoup : pour ceux qui sont « interdits » de Max, le livre circule sous le manteau… Que cela vous inspire-t-il ? Imaginiez-vous déclencher de telles réactions chez les adultes comme chez les ados ?

Sarah Cohen-Scali :

Non, je ne m’imaginais pas du tout déclencher de telles réactions chez les ados, et d’ailleurs vous m’apprenez cette «circulation sous le manteau» dont je n’étais absolument pas au courant. Pour être tout à fait sincère, je pensais que ce livre trop gros, trop dense, qui parle de cette guerre qui s’est passée il y a si longtemps maintenant pour les jeunes les ennuierait et leur tomberait des mains.
En revanche, chez les adultes, je m’attendais à une polémique. A cause du parti-pris de la narration: j’ai donné la parole à l’ennemi, j’ai choisi un «anti-héros», pire, j’ai fait en sorte que le lecteur s’y attache. Rien ne me touche autant, dans les différentes critiques que j’ai pu lire jusqu’à présent, que de constater que certains lecteurs ont réussi à s’attacher à Max, en dépit de l’aversion première qu’il suscite, qu’ils ne le considèrent plus comme un «méchant»… Allez, n’ayons pas peur des mots, justement, comme un «salaud», mais comme une victime. Ce qu’il est.

Max et… La gloire ?

Gaëlle pour l’Ouvre-livres :

Le 12 avril, seront annoncés les résultats des prix Sorcières. Était-ce votre première nomination ? Ce prix décerné par les libraires de l’ALSJ et les bibliothécaires de l’ABF est le plus reconnu de notre petit microcosme, il reste pourtant peu connu en dehors. Pensez-vous que ce prix rendra votre roman plus visible?

Sarah Cohen-Scali :

Oui, c’est la première fois que je suis nominée pour ce prix. Je ne sais pas si le fait d’être lauréate rendra le roman plus visible, je l’espère, car je trouve qu’il ne l’est pas assez, chaque fois que je le cherche en librairie, je ne le trouve pas, et cela me désespère.
Peut-être êtes-vous plus à même de répondre à cette question que moi?
Ce dont je suis sûre, en revanche, c’est que l’obtention de ce prix m’encourage et éloigne — pour un temps — les doutes qui m’assaillent constamment sur la qualité de mon travail.

Gaëlle pour l’Ouvre-livres :

Nous regrettons toutes sur ce blog la trop faible place accordée à la littérature pour la jeunesse dans les médias. Une simple recherche sur internet avec pour mots clés Max et votre nom ne renvoie qu’à des blogs ou des sites marchands. À une époque où l’on se lamente de la désertion de la lecture de la part des ados, comment interprétez-vous le silence des grands journaux nationaux, des hebdomadaires, des mensuels consacrés à la littérature à propos de votre roman ou de la littérature pour la jeunesse en général ?

Sarah Cohen-Scali :

Vous soulevez un débat important. La littérature pour la jeunesse reste, en France, une sous-littérature, ce qui est proprement scandaleux. Les médias la méprisent. Seules font exception les grosses locomotives telles que Harry Potter ou Twilight de Stephenie Meyer. Il faut qu’un livre pour la jeunesse se vende à des milliers d’exemplaires pour que les grands journaux consacrés à la littérature daignent en parler.
C’est navrant, c’est insultant pour nous, auteurs, qui, dès lors que nous sommes estampillés jeunesse passons pour des simples d’esprit ne pouvant écrire autre chose que des histoires de gentils lapins roses qui se brossent les dents avant de dormir…

Gaëlle pour l’Ouvre-livres :

Je vous remercie infiniment !

Sarah Cohen Scali :

Merci à vous pour votre critique et pour avoir aimé cet enfant si difficile qu’est Max.
Pour information, j’ai lu votre article juste après une critique parue dans une revue historique, qui a littéralement assassiné Max, lui reprochant d’être vulgaire, outrancier, mal documenté, manipulateur… j’en passe et des meilleures. Votre avis pourrait répondre point par point aux arguments de l’auteur de l’article et les réduire à néant.

Bravo pour le prix Sorcières !!!

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