Comme des images, Clémentine Beauvais. Collection eXprim, Sarbacane

19/04/2014 13:17

Il y a un corps dans la cour du lycée Henry-IV

Un incipit qui cingle. Tout est dit, ou presque : le début commence par la fin et ça se termine mal.

Là où l’on reconnaît un bon livre, c’est quand on oublie le début (même si c’est la fin) alors qu’on le/la connaît déjà ; vous me suivez ?

Exemple : Love story d’Erich Segal. On sait dès les premiers mots que l’héroïne meurt et pourtant on (je) m’effondre quand même quand elle meurt pour de bon.

Bref résumé raccourci et tronqué en mode pas sérieux : Comme des images c’est l’histoire de Léopoldine qui vient de changer de petit ami (un moche à la place d’un beau). Il y a terrible vengeance car le beau apprécie moyennement d’être remplacé par un thon. Plein de gens vont souffrir de cette vengeance mais ça va ouvrir les yeux des plus embobinés d’entre eux. Détail important : Léopoldine a une soeur jumelle Iseult qui est son brouillon. Léopoldine a une amie fidèle qui, avant, était copine avec sa jumelle. Léopoldine sent bon Anaïs Anaïs, Léopoldine a un sac de luxe, une robe Tara Jarmon, des ballerines Repetto. Elle a tout.

Attention, je repasse en mode "sérieux". Dans Comme des images, Clémentine Beauvais nous livre une histoire diablement touchante qui va bien au delà des apparences. Dans ce lycée on fait finalement le triste constat que tous les élèves sont les mêmes. Mêmes vêtements de luxe, même tennis Bensimon et surtout, surtout : même avenir, même futur formaté, même parcours prévu. Tout est déjà gravé dans la pierre du prestigieux établissement. C’est l’inexorable course à la réussite. Dans ce décor tout tracé, Iseult la jumelle qui rêve des beaux-arts passe pour une drôle. Pourtant, rien n’est drôle pour elle. Marre d’être prise pour sa sœur parfaite, marre d’être l’illuminée qui rêve d’art. Marre de cette vie toute prévue alors qu’elle commence à peine !

Et puis, derrière les luxueuses apparences tout le mal être de cette génération hyper-connectée jaillit. Tout comme ce corps au milieu de la cour tout cabossé.

Pendant longtemps l’on se demande à qui diable est ce corps dans la cour du lycée Henry-IV . Qui pourrait bien vouloir en finir du prestige ? La vocation du prestigieux établissement (se dit hache quatre pour les intimes) est-elle de former les futures élites ou de hacher menu des ados poussés par leurs familles à l’excellence ? Il semble que le lycée les mouline tout fins pour voir s’ils sont bien de la trempe des illustres qui les ont précédés (Descartes, Alain, Sartre versus Patrick Bruel). Dans ce lycée (H-IV) à l’appellation de virus, un vilain évènement chamboule la vie d’un groupe d’amis. A l’âge où l’on "casse" pour mieux se caser, Léopoldine est victime d’une vengeance de son ex petit-ami ; bien assisté de deux copains remontés comme des coucous pour lui faire sa fête. A coups de réseaux sociaux et de mails, Clémentine Beauvais nous fait découvrir ce que c’est que LA honte. Mais là où l’auteur est particulièrement inspirée, c’est que LA honte se répand d’une manière plus subtile qu’on ne peut l’imaginer.

Dommages collatéraux en prévision…

Ce roman traite de sujets contemporains avec une intelligence qui vous saute à la figure à chaque chapitre. Rien n’y est mièvre ou pleurnichard. Sans pathos, mais avec pleine conscience de notre époque, Clémentine Beauvais nous offre un texte subtil, vrai et dramatiquement probable.

Lu en un soir et une pause-déjeuner, dévoré mais pas près d’être digéré.

Recommandé vivement aux ados et aux adultes.

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